Inventer une
histoire, un conte sur la vie des
chaussettes dépareillées qui, après
chaque lessive, se retrouvent dans
une boite à oubliée.
Sidonie se réveille et s’étire.
C’est une charmante chaussette rose
à bord dentelé, un modèle tout à
fait unique en son genre avec ses
petits pois vert fluo. Elle regarde
celui qui est à côté d’elle : c’est
Marcel, une affreuse chaussette
marron qui gratte les pieds. Sidonie
ne peut s’empêcher de penser que son
propriétaire n’a pas perdu
grand-chose en égarant son alter
ego. En ce qui la concerne, elle ne
s’est jamais remise de la perte de
sa sœur jumelle Aglaé. Elles
s’entendaient si bien toutes les
deux ! Elles faisaient le bonheur
d’une petite fille qui les portait
avec une charmante robe rose et un
petit boléro vert tout à fait
seyant.
Le gros Marcel la regarde s’un air
rigolard : « Alors, ma belle, bien
dormi ? Sais-tu que tu fais des
petits gloussements pendant ton
sommeil ? On peut savoir à quoi tu
rêvais ? ».
Quel malappris, ce Marcel, et quel
manque de tact ! Pourquoi a-t-il
fallu qu’elle se retrouvât avec ce
rustre dans cette maudite boite ? Si
seulement la petite Mireille se
donnait la peine de retrouver Aglaé,
elle pourrait retourner dans le
tiroir de la commode où sont rangées
les affaires de la petite fille.
Mais elle est si désordonnée !
Peut-être Aglaé est-elle sous le lit
ou dans un coin de la chambre, toute
bouchonnée. Peut-être même est-elle
restée coincée dans la machine à
laver. Ah, la maman de Mireille
pourrait faire un peu plus attention
tout de même ! Un éclair traverse
soudain la petite chaussette. Mais
oui, je me rappelle : le jour où
Aglaé a été perdue, c’était le papa
de Mireille qui avait étendu la
lessive. Avec lui, on peut
s’attendre à tout : il laisse le
linge en tire-bouchon sans même se
donner la peine de l’étirer un peu
pour faciliter le repassage. Ces
hommes sont une catastrophe : pas
étonnant que Marcel ait perdu son
copain…
« Je rêvais d’Aglaé, tu le sais
bien. J’espère toujours qu’on la
retrouvera » dit-elle en soupirant à
Marcel.
« Compte là-dessus, bois de l’eau
fraiche » dit Marcel goguenard. « Tu
ne crois pas qu’ils vont mettre des
affiches dans les rues comme pour le
chat du voisin. Je vois d’ici le
topo : ai perdu chaussette rose à
pois verts. Grosse récompense à qui
la retrouvera. Avec ça, ils
mettraient une photo de toi, ce
serait charmant ! »
Sidonie prend un air courroucé. « Tu
peux bien te moquer : toi aussi, tu
aimerais bien redevenir une paire
comme les autres ». Marcel rétorque
: « Oh, moi, ça m’est bien égal.
Depuis que je suis seul, je suis
bien tranquille. Je ne suis plus
obligé de couvrir un pied qui sent
rarement la rose. Je me sens pépère
: la retraite avant l’heure, quoi !
»
D’autres chaussettes de la boite
opinent mais la plupart ne sont pas
d’accord. Il y a de tout dans cette
boite : des mi-bas, des chaussettes
de tennis, des socquettes élégantes.
Certaines d’entre elles regrettent
leur activité passée et évoquent le
bon temps. Elles ont l’impression
d’avoir été mises au rancart.
Solange, par exemple, était si
désolée de son désœuvrement qu’elle
s’est mise en cheville avec une
autre chaussette beige qui lui
ressemble. Pourquoi, après tout, ne
pas recomposer un couple ? Il ne
reste plus qu’à persuader leur
propriétaire. Encore faudrait-il
qu’elle pense à ouvrir la boite !
Catherine Bonaïti
16 Mai 2011
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