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Noël revisité
Le rémouleur apporte des
couteaux. Le tonnelier du bon
vin. L’épicière des oignons. Le
ravi n’apporte rien. Gaston
Matuvu trouve à redire. Les
couteaux, c’est dangereux, Le
vin, pour les enfants, ce n’est
pas raisonnable. Les oignons, ça
fait pleurer. Le ravi n’est
qu’un paresseux.
Les bergers ont pour cadeau qui
un agneau, qui un mouton, qui
une brebis. Parmi eux, Gilbert
apporte un mâle et une femelle.
Grâce à la laine des nombreux
rejetons, on couvrira de
manteaux la sainte famille
pendant de nombreux hivers.
Gaston Matuvu, qui est aussi
berger, veut faire quelque chose
de mieux que les autres.
De glorieux. De grandiose. Il
décide de donner la totalité de
son troupeau. Quand il arrive à
la crèche, suivi de ses
quatre-vingt-dix-sept moutons,
tout le monde le regarde de
travers. Que dis-je tout le
monde ? On ne le voit plus, le
monde ! Car Gaston occupe tout
l’espace, avec ses bêtes. Il
crie « Place ! Place ! C’est de
cadeaux royaux dont Jésus a
besoin ! » Il se réjouit par
avance d’éclipser l’or et la
myrrhe et l’encens.
La Vierge Marie et saint Joseph,
devant un tel afflux, n’ont plus
qu’à emporter Jésus dehors. Il
n’y a plus place pour lui dans
la crèche. Il va être étouffé ou
écrasé par les moutons.
C’est ainsi que la sainte
famille, après avoir été rejetée
des hôtelleries, est rejetée de
la crèche, le jour de Noël.
Joseph et Marie décident
d’avancer leur voyage en Egypte.
Le bœuf et l’âne partent aussi,
bien qu’ils en craignent le
climat.
Il y a des moutons partout. La
crèche éclate. Il n’y a plus de
crèche. Mais, à la place, la
nouvelle bergerie de Bethléem.
Il n’y a plus de petit Jésus en
Judée ! Matuvu, qu’as-tu fait ?
Mon Dieu, quel Noël raté !
Renée-Lise Jonin |
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